Dès l’arrivée à
Roissy-CDG, traitement sur mesure. Parking réservé, formalités réduites au
strict minimum, et passage au très confortable Salon Concorde avant
l’embarquement. Mais le plus impressionnant reste incontestablement le bar,
avec une trentaine de bouteilles de Champagne au garde-à-vous dans les seaux
à glace. Le temps d’apprécier quelques coupes de ce noble breuvage, avant de
se diriger vers la porte d’embarquement.
L’Oiseau est bien là, toujours aussi magnifique et attendant patiemment. Ses
réservoirs ne sont remplis qu’à environ 40 %, tandis que ses soutes
n’accueillent aucun bagage pour ce vol. Le gain de poids total est d’environ
30 % par rapport au poids en pleine charge. Cela ne manquera pas de jouer
sur les performances…
(1) Concorde nous attend |
A bord de l’avion, la largeur de la
cabine rappelle que Concorde a été taillé pour la très haute vitesse, avec
deux rangées de deux sièges seulement, séparées par un unique couloir
central, plutôt étroit. La petite taille des hublots confirme qu’à Mach 2,
les contraintes aérodynamiques et thermiques imposées à l’avion ne sont pas
les mêmes qu’à 930 km/h.
L’aménagement de la cabine, à dominante grise, est de très bon goût. Cet
intérieur est beaucoup plus beau que celui des débuts commerciaux de
Concorde, en 1976. Cela évoque l’excellente qualité, mais qui sait rester
discrète. Les sièges offrent un confort ergonomique assez fabuleux, avec une
place aux jambes extrêmement généreuse. Mon siège est le 3D, ce qui me place
dans la cabine avant, côté droit et près du hublot. C’est la garantie d’un
vol très doux, sans aucune vibration et avec un bruit des réacteurs réduit
au minimum. Et cela permettra d’apprécier une vue unique en son genre.
Sur ce même siège, une jolie pochette à mon nom contient du papier courrier,
des enveloppes et un stylo, le tout aux armes de Concorde. Mais aussi une
brochure consacrée à l’avion, le plan de vol et un diplôme supersonique
signé de la main du Commandant de Bord. Tout cela a été remis
systématiquement à tous les passagers sur Concorde de 1976 à 2003, chez Air
France comme chez British Airways, et faisait partie des attentions portées
aux passagers supersoniques.
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Départ du Terminal, tiré vers l’arrière avec un tracteur d’aéroport. Les
quatre réacteurs Olympus 593 signés Rolls-Royce (post-combustion Snecma)
sont mis en route à cet instant, avec un grondement teinté d’un sifflement
très suggestif. Cela évoque beaucoup plus l’avion de chasse que le long
courrier civil.
Puis l’avion se dirige vers la piste, sous le regard d’employés de
l’aéroport et de spectateurs spontanés ; une habitude, pour Concorde, qui
restera à jamais le roi des avions.
A l’entrée de la piste, quelques secondes d’attente seulement permettent au
Commandant de Bord d’obtenir l’autorisation de décollage. A pleine charge,
Concorde décolle à 360 km/h en 30 secondes et sur 1500 mètres, ce qui
renvoie déja n’importe quel Boeing ou Airbus au rang d’escargot ankylosé.
Mais avec 30 % de poids total en moins, Foxtrot-Alpha nous gratifie ce
jour-là d’un décollage… inoubliable ! Quand à l’entrée de la piste les
réacteurs se mettent à hurler, post-combustion allumée en grand, chacun se
retrouve écrasé dans son siège, sous l’effet d’une accélération monstrueuse
: au lieu du temps habituel, l’Oiseau décolle à 400 km/h atteints en… 21
secondes !!!!!! Cela représente environ 4 G dans la figure. Pas besoin de
combinaison spéciale pour ça, mais on le sent passer… FA – BU – LEUX !!!!!!
Et le plus fort, c’est que le meilleur est encore à venir. Peu après le
décollage, les trains d’atterrissage regagnent leur logement et la
post-combustion est éteinte. Pendant la montée, l’impression majeure est
d’être installé à bord d’une fusée, sous l’effet de la poussée infernale des
quatre réacteurs. Les 10 000 mètres d’altitude sont atteints en mois de
quatre minutes, tandis que l’avion est déja à la verticale du Havre douze
minutes après le décollage. Puis la Manche. Au point de navigation Tesgo, à
mi-chemin entre Cherbourg et Portsmouth, l’Oiseau continue à monter en
altitude à un train d’enfer et atteint vite Mach 0,93. Chaque passager peut
suivre l’évolution de la vitesse grâce aux afficheurs digitaux disposés dans
les deux cabines.
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La post-combustion est alors rallumée,
ainsi débute l’accélération transsonique. Entre Mach 0,99 et Mach 1,00 deux
très légères secousses se font sentir, à moins d’une seconde d’intervalle et
sans le moindre bruit… à bord de l’avion. En Concorde, le Mur du Son est
franchi dans un fauteuil. Seuls les pêcheurs sur la Manche ont droit au
double Bang ! caractéristique.
La post-combustion reste allumée en grand, et vers Mach 1,30 l’accélération
se fait de nouveau fortement sentir. D’autant plus impressionnant, compte
tenu de la vitesse déja atteinte par l’avion. Elle est éteinte à Mach 1,70
tandis que l’Oiseau atteint le point de navigation Akelo, à mi-chemin entre
la Cornouaille et la Bretagne. L’avion, porté par son élan et ses quatre
réacteurs, et allégé du carburant déja consommé, continue à prendre de
l’altitude et atteint Mach 2,00 dans une douceur totale. Miracle de
l’ingénierie du Concorde… L’Oiseau atteint même Mach 2,04 pendant quelques
secondes, avant de se stabiliser à Mach 2,02 sa vitesse de croisière.
L’avion vole alors en stratosphère, à 55 000 pieds/18 000 mètres, son
altitude de croisière. A cette altitude, l’air raréfié et plus froid (- 60
degrés) permet de limiter l’échauffement extérieur du fuselage et de la
voilure, lié à l’énergie cinétique générée par le frottement de l’air. Mais
même ainsi, la température atteinte par la peau de l’avion est de 120
degrés…
Détail
qui en dit long, l’intérieur du hublot est bien chaud. Sous l’effet de la
chaleur, la cellule de l’avion se dilate et sa longueur totale augmente
d’environ 25 centimètres par rapport à sa longueur au sol. Au cours des
différentes phases du vol (montée, accélération transsonique, croisière
supersonique, décélération transsonique et redescente), l’avion nécessite un
rééquilibrage permanent, assuré par la modification de la répartition du
kérosène dans ses réservoirs, sous la houlette de l’Officier Mécanicien
Navigant. C’est une des nombreuses particularités de Concorde préalablement
mises au point dans un cadre strictement militaire, sur avions de chasse et
bombardiers.
A Mach 2,02 et à 18 000 mètres d’altitude, les conditions de vol confinent à
la perfection. La voilure en aile delta de type gothique et incurvée vers le
bas procure la sensation bien physique et extrêmement agréable de surfer sur
l’air. Le spectacle de la courbure de la Terre, du ciel violacé et des
nuages flottant sur l’Atlantique, mais aussi l’extrême douceur de vol (à
cette altitude, il n’y a pas de turbulences) et le sifflement un peu irréel
des réacteurs permettent d’apprécier la stratosphère à Mach 2 comme dans un
rêve. En plus du vol à bord d’un avion mythique, cela tient du cadeau des
dieux. Le Champagne toujours servi en plein vol ne gâche rien, tandis que
les gourmets peuvent apprécier un repas d’excellente facture. Seule note
légèrement discordante, une très inattendue odeur de kérosène parcourt la
cabine pendant quelques secondes. Cela s’explique par la pressurisation
ultra puissante de la cabine, qui fonctionne au kérosène.
Quelques instants passés dans le poste de pilotage au cours du vol
permettent d’apprécier un spectacle que tous les lavages de cerveau
n’effaceront jamais : bleu devant, bleu au dessus, bleu au dessous, bleu sur
les côtés… bleu partout ! Photos non autorisées, dommage. Dans le poste,
l’équipage est composé de trois ingénieurs silencieux et entièrement
absorbés par leurs outils de navigation, plan de route et armoires à
instruments. Le Concorde n’a décidément rien d’un Boeing ou d’un Airbus
archi automatisé…
Puis demi-tour au dessus de
l’Atlantique et retour sur Roissy-CDG, par le Cotentin et l’Oise. Environ
2000 kilomètres parcourus en une heure et demi, dont vingt minutes à Mach 2.
L’atterrissage est un peu rude, comme sur tous les avions au nez très long.
Les pilotes d’avions de chasse en savent quelque chose. Même avec le nez
incliné à 12 degrés et la visière abaissée, la piste n’est pas si visible
car l’avion est très cabré, à cause du coussin d’air naturel formé par sa
voilure en delta.
F-BVFA à l'atterrissage à CDG, 13 mai 2003
cliché Philippe Noret (source Airliners.net)
En revanche, ce même coussin d’air
garantit une dernière phase de l’approche de la piste beaucoup plus aisée
que sur n’importe quel avion doté d’une voilure en flèche.
Alors ? Concorde est un avion de chasse très grand et incroyablement
puissant, extrêmement rapide, sans armements et avec passagers, affichant
une esthétique fabuleuse et un confort remarquable. Mach 2 en costume léger
bleu marine, dans un fauteuil et coupe de Champagne à la main, cela
s’apprécie… Retenons que cet avion aura permis au commun des mortels de
franchir le Mur du Son et d’évoluer en stratosphère à deux fois la vitesse
du son, et ce sans le moindre équipement spécial ni brevet de pilote.
Huitième merveille du monde ? Probable…
Chaleureux remerciements à Roland Demeester, Commandant de Bord, à Michel
Tronche, Officier Pilote, et à Rémi Pivet, Officier Mécanicien Navigant.
Mais aussi à Stéphane et à l’ensemble des hôtesses et stewards, six au
total. Leur service à toutes et à tous est à l’image de l’avion avec lequel
ils ont travaillé : idéal.
Bruno Sobezyk-Molina
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